Une proposition de loi pour la protection du secret des affaires : Bien mais peut mieux faire !

 

Bernard CARAYON, député du TARN, est à l’origine d’une proposition de loi visant à sanctionner la violation du secret des affaires déposée le 22 novembre 2011 et adoptée en 1ère lecture par l’Assemblée nationale le 23 janvier 2012.

« Protéger le secret des affaires, c’est protéger des emplois, des technologies sensibles, des investissements, lutter contre la désindustrialisation et, dans certains cas, garantir nos indépendances dans les secteurs stratégiques. La sécurité économique des entreprises ne peut d’évidence être laissée au seul ressort contractuel ; elle exige l’intervention des pouvoirs publics ».
déclarait le 23 janvier 2012 M. Bernard CARAYON, rapporteur de la proposition de loi objet de cet article.

Le député débutait sa présentation par une allusion pertinente à François MITTERRAND, alors Président de la République, qui dans sa Lettre à tous les Français, évoquait en avril 1988, la « guerre économique mondiale », soulignant que « l’économie mondiale » n’est qu’un « champ de bataille où les entreprises se livrent une guerre sans merci », une guerre « totale et générale » où le « relâchement ne pardonne pas »1.

Cette « petite loi » a été déposée au Sénat le 24 janvier 2012. Si ce texte est définitivement adopté, la personne qui divulgue une information classifiée « secret professionnel » sera passible de trois ans de prison et de 375 000 euros d’amende. Ce texte se veut s’inspirer du droit international et européen très protecteur du secret des affaires.

Selon M. Philippe BOUSQUET, membre de l’Académie de l’intelligence économique (AIE)2 et secrétaire général du comité RICHELIEU3 qui représente les PME françaises innovantes, cette disposition était nécessaire mais la vigilance n’en demeure pas moins devoir être un des actes réflexes pour l’entreprise, avis partagé par la Direction centrale du renseignement intérieure (DCRI)4.

I) Décryptage des 3 articles de la « petite loi » désormais entre les mains du Sénat.

1) Article 1 : Création. Cette loi a pour objet de compléter le titre II « Des atteintes au biens » du Livre III «  Des crimes et délits contre les biens » du Code pénal par un chapitre V intitulé « De l’atteinte au secret des affaires des entreprises ».

L’insertion au sein du livre III, consacré aux crimes et délits contre les biens, est cohérente. Elle a aussi l’avantage de consacrer un chapitre entier, spécifique, à la protection du secret des affaires.

11) Définition de l’information protégée relevant du secret des affaires …

« Art. 325-1. Constituent des informations protégées relevant du secret des affaires d’une entreprise, quel que soit leur support, les procédés, objets, documents, données ou fichiers de nature commerciale, industrielle, financière, scientifique, technique ou stratégique ne présentant pas un caractère public dont la divulgation non autorisée serait de nature à compromettre gravement les intérêts de cette entreprise en portant atteinte à son potentiel scientifique et technique, à ses positions stratégiques, à ses intérêts commerciaux ou financiers ou à sa capacité concurrentielle et qui ont, en conséquence, fait l’objet de mesures de protection spécifiques destinées à informer de leur caractère confidentiel et à garantir celui-ci.

Ces mesures de protection spécifiques, prises après une information préalable du personnel par le représentant légal de l’entreprise ou par toute personne qu’il aura préalablement désignée par écrit, sont déterminées par décret en Conseil d’État. »

…Reste à définir par le Conseil d’État la nature des « mesures de protection spécifiques »…

12) Est poursuivie la personne révélant l’information et non celle la (re)cherchant…

« Art. 325-2. – Le fait de révéler à une personne non autorisée à en avoir connaissance, sans autorisation de l’entreprise ou de son représentant, une information protégée relevant du secret des affaires de l’entreprise, pour toute personne qui en est dépositaire ou qui a eu connaissance de cette information et des mesures de protection qui l’entourent, est puni d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende.

13) Exceptions : toute autorité juridictionnelle, les « autorités compétentes » et les informateurs

« Art. 325-3. – L’article 325-2 n’est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. En outre, il n’est pas applicable :
« 1° À l’autorité judiciaire agissant dans le cadre de poursuites pénales ainsi qu’à toute autorité juridictionnelle ;
« 2° Lorsque le juge ordonne ou autorise la production d’une pièce couverte par le secret des affaires en vue de l’exercice de ses droits par une partie, sauf motif légitime opposé par une partie ;
« 3° À celui qui informe ou signale aux autorités compétentes des faits susceptibles de constituer des infractions ou des manquements aux lois et règlements en vigueur dont il a eu connaissance ;
« 4° Aux autorités compétentes dans l’exercice de leur mission de contrôle, de surveillance ou de sanction.
« Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut faire l’objet d’aucune sanction disciplinaire. »

Les forces de sécurité intérieure et les organismes de contrôle (Douanes…) ne sont par conséquent pas concernés, ce qui semble normal pour une politique publique d’intelligence économique efficace dans leur cadre de leurs missions de surveillance et d’enquête quant aux vols de patrimoines matériels et immatériels sensibles de l’entreprise.

14) Non pas étaient retenus :

Les articles 226-15-1 à 226-15-3 du Code pénal créés par cette proposition de loi et qui définissaient strictement, au plan législatif, les caractéristiques et la nature des informations relevant du secret des affaires d’une entreprise et susceptibles à ce titre de faire l’objet de mesures de protection. Ils établissaient l’élément matériel de l’infraction consistant en une révélation volontaire sans autorisation. En outre, ils précisaient l’élément moral de l’infraction ou son caractère intentionnel, qui s’analyse en la connaissance du caractère secret des informations et des mesures de protection mises en place par leur auteur

2) Article 2 : – L’article 1er bis de la loi n° 68-678 du 26 juillet 1968 relative à la communication de documents et renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères dite « loi de blocage » est ainsi rédigé :

« Art. 1er bis. – Sous réserve des traités ou accords internationaux et des lois et règlements en vigueur, il est interdit à toute personne de demander, de rechercher ou de communiquer, par écrit, oralement ou sous toute autre forme, afin de constituer des preuves en vue de procédures judiciaires ou administratives étrangères ou dans le cadre de celles-ci :

« 1° Des documents ou renseignements de nature économique, commerciale, industrielle, financière, scientifique, technique ou stratégique dont la communication est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, aux intérêts économiques essentiels de la France ou à l’ordre public ;

« 2° Des documents ou renseignements de nature économique, commerciale, industrielle, financière, scientifique, technique ou stratégique ne présentant pas un caractère public dont la divulgation serait de nature à compromettre gravement les intérêts d’une entreprise, en portant atteinte à son potentiel scientifique et technique, à ses positions stratégiques, à ses intérêts commerciaux ou financiers ou à sa capacité concurrentielle, notamment ceux ayant fait l’objet de mesures de protection spécifiques prévues à l’article 325-1 du code pénal. »
Cet amendement permet de préserver la cohérence d’ensemble du dispositif de blocage et de conserver un champ d’application suffisamment protecteur pour les entreprises. Il permet de modifier le texte de la loi de blocage sans l’intégrer au code pénal.

Pour mémoire voici l’article actuellement en vigueur :

Article 1 bis créé par Loi 80-538 1980-07-16 art. 2 II JORF 17 juillet 1980

« Sous réserve des traités ou accords internationaux et des lois et règlements en vigueur, il est interdit à toute personne de demander, de rechercher ou de communiquer, par écrit, oralement ou sous toute autre forme, des documents ou renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique tendant à la constitution de preuves en vue de procédures judiciaires ou administratives étrangères ou dans le cadre de celles-ci 5».

3) Article 3 :
III)
Au dernier alinéa de l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les mots : « ou de tout autre secret professionnel » sont remplacés par les mots : « , de tout autre secret professionnel ou du secret des affaires tel que défini à l’article 325-1 du code pénal ».

Cet amendement permet de lever toute ambiguïté susceptible de naître de l’usage de la notion de secret des affaires dans d’autres branches du droit, comme le droit de la concurrence, le droit financier ou le droit des télécommunications.
Pour mémoire voici l’article actuellement en vigueur :

Article 35 modifié par Décision n°2011-131 QPC du 20 mai 2011 – art. 1, v. init.

« La vérité du fait diffamatoire, mais seulement quand il est relatif aux fonctions, pourra être établie par les voies ordinaires, dans le cas d’imputations contre les corps constitués, les armées de terre, de mer ou de l’air, les administrations publiques et contre toutes les personnes énumérées dans l’article 31.
La vérité des imputations diffamatoires et injurieuses pourra être également établie contre les directeurs ou administrateurs de toute entreprise industrielle, commerciale ou financière, dont les titres financiers sont admis aux négociations sur un marché réglementé ou offerts au public sur un système multilatéral de négociation ou au crédit.
La vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée, sauf :
a) Lorsque l’imputation concerne la vie privée de la personne ;
b) (Abrogé)
c) Lorsque l’imputation se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision ;
Les deux alinéas a et b qui précèdent ne s’appliquent pas lorsque les faits sont prévus et réprimés par les articles 222-23 à 222-32 et 227-22 à 227-27 du code pénal et ont été commis contre un mineur.
Dans les cas prévus aux deux paragraphes précédents, la preuve contraire est réservée. Si la preuve du fait diffamatoire est rapportée, le prévenu sera renvoyé des fins de la plainte.
Dans toute autre circonstance et envers toute autre personne non qualifiée, lorsque le fait imputé est l’objet de poursuites commencées à la requête du ministère public, ou d’une plainte de la part du prévenu, il sera, durant l’instruction qui devra avoir lieu, sursis à la poursuite et au jugement du délit de diffamation.
Le prévenu peut produire pour les nécessités de sa défense, sans que cette production puisse donner lieu à des poursuites pour recel, des éléments provenant d’une violation du secret de l’enquête ou de l’instruction ou de tout autre secret professionnel s’ils sont de nature à établir sa bonne foi ou la vérité des faits diffamatoires.
NOTA:
Dans sa décision n° 2011-131 QPC du 20 mai 2011 (NOR CSCX1113975S), le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution le cinquième alinéa de l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881. Cette déclaration d’inconstitutionnalité prend effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées par son considérant 76 ».

II) Voici les remarques pertinentes à l’audience du député M Marc Le FUR , député des CÔTES D’ARMOR, qui proposait de compléter l’alinéa 3 de l’article 2 par les mots «  ou de receler, en France ou à l’étranger, tous documents ou renseignements, de nature économique, commerciale, industrielle, financière, scientifique, technique ou stratégique » et de supprimer les alinéas 4 et 5 :

« [...] Il faut protéger nos entreprises, abandonner toute naïveté. Mais c’est parce que je veux appliquer complètement cette logique que je me suis permis de rédiger ce sous-amendement. De quoi s’agit-il ? Ne soyons pas naïfs à l’égard des Américains. Il y a un véritable impérialisme juridique américain. Ce n’est pas une information que je vous livre. Http:/La moindre occasion est saisie par le juge américain pour s’emparer d’une affaire. Alors même qu’elle concerne deux pays complètement étrangers aux États-Unis, et qu’elle n’a aucun rapport avec les États-Unis, il suffit que des transactions aient été libellées en dollar pour que le juge américain se saisisse de cette affaire. Nous avons des exemples de contentieux de cette nature. Alors même qu’une affaire concerne deux entreprises situées en Europe, porte sur des biens en Europe, avec des clients en Europe, il suffit que ces entreprises aient rédigé leur contrat sous forme de courriels localisés dans des entreprises américaines pour que le juge américain s’autorise à s’emparer de cette affaire.
Nous devons donc nous donner les moyens de protéger nos entreprises. Nous disposions, à cette fin, de la loi de 1968, dite loi de blocage. Je comprends parfaitement, monsieur le rapporteur, que nous devons la moderniser. Ma conviction, malgré tout, est que nous devons garder le filtre du juge français. Quand un juge pénal américain, quand un juge civil américain, quand une autorité administrative indépendante américaine – je pense à la Securities and Exchange Commission, par exemple, qui est une autorité considérable – veut obtenir une information quelconque concernant une entreprise française, elle doit transiter par un juge français, par exemple dans le cadre d’une commission rogatoire. Des traités organisent cette pratique, qui se fait quotidiennement.
Ma crainte est que l’on déroge à cette règle. Elle devrait redevenir la norme, monsieur le ministre. Je propose donc, dans ce sous-amendement, qu’on en revienne à cette règle simple : le juge français est le filtre nécessaire, et il ne peut pas y avoir d’exception. Cela n’interdira pas au juge américain d’agir. Simplement, il devra passer par un juge français7 ».

Ce texte, s’il est adopté, constituera une avancée certaine dans le domaine de la protection des données industrielles sensibles amis il risque de s’agir une fois de plus d’un coup d’épée dans l’eau… « L’enfer est pavé de bonnes intentions » dit-on… Pourtant M. Éric BESSON, ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique déclarait à l’occasion des débats parlementaires ce 23 janvier : « Pour accélérer notre croissance, nous avons besoin d’une FRANCE conquérante dans la mondialisation. S’il faut être conquérant, il faut aussi être lucide sur la nécessité de protéger l’information économique stratégique. »
En premier chef, c’est au chefs d’entreprise et aux dirigeants d’être lucides sur l’environnement ultra compétitif qui est le leur désormais. Pour plagier THUCYDIDE, je dirai « Pour assurer la sécurité de nos secrets professionnels ne comptons pas sur la sévérité des lois et la vigilance de notre administration mais avant tout sur nous mêmes »…


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